Des producteurs d’oignons et de radis chinois ont abandonné l’usage d’un insecticide hautement toxique tout en augmentant le rendement de leurs récoltes grâce à un insecte : la mouche.
Le producteur maraîcher canadien Olivier Barbeau a vu 10 % de sa récolte d’oignons verts ravagée par les larves de la mouche de l'oignon (Delia antiqua) en 2011. Il utilisait un pesticide très controversé : le Lorsban (L’ingrédient actif de ce produit, le chlorpyrifos, a été classé par le gouvernement du Québec comme l’un des cinq pesticides posant le plus de risques). Depuis, il a adopté une nouvelle technique pour protéger ses cultures…
Il relâche environ 10 000 mouches d’un rose flamboyant. Il s’agit d’une espèce qui a vu le jour dans un centre d’élevage situé dans le village de Sherrington. Elles ont été recouvertes d’une poudre non toxique pour permettre de les distinguer des populations naturelles et sont surtout stériles !
Au stade de pupe, les mouches ont été irradiées grâce à une technique qui consiste à les immerger dans un grand bassin d’eau dans lequel se trouvent des barres de cobalt. Une fois relâchés, les mâles stériles vont se reproduire avec les femelles sauvages. Celles-ci vont pondre des œufs qui ne produiront donc pas de larves qui raffolent de la sève des oignons verts et des oignons secs !
Cette technique est aujourd’hui pratiquée dans 27 fermes, dont deux en Ontario. « La première année où tu fais le virage, c’est l’année où tu trembles. Tu te dis OK, on ne met plus de chlorpyrifos, mais est-ce que ça va marcher ? Parce que si ça ne marche pas et que je perds la moitié de mes récoltes, la banque ne sera pas bien contente. Mais là, ça a marché », explique le producteur québécois. Chaque mouche rose coûte environ 1,1 cent à produire et sont revendues 1,2 cent. Cette année, Olivier Barbeau a dépensé 26 000 $ pour acheter les insectes.
À l’origine, le programme des mouches roses n’était pas subventionné. Barbeau a investit 30 000 $ et fait partie des familles pionnières dans la pratique de cette technique. Cet été, près de 26 millions de mouches roses stériles ont été relâchées, principalement dans la région des terres noires de la Montérégie. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) offre désormais des subventions pouvant aller de 70 % à 90 % des dépenses des agriculteurs, jusqu’à concurrence de 12 000 $ par année.
« En tout, il y a plus ou moins 2500 hectares d’oignons secs et verts au Québec. Le projet des mouches roses stériles couvre maintenant autour de 800 hectares », explique la biologiste-entomologiste Anne-Marie Fortier, coordonnatrice de la production et des lâchers de mouches roses au sein du Consortium Prisme. Cette entreprise fondée en 1982 se charge de la recherche scientifique, de l’accompagnement agronomique et des projets en agro-environnement. C’est cette entreprise de Montérégie qui a importé des Pays-Bas ce principe de lutte contre les larves de Delia antiqua. Les lâchers à grande échelle ont commencé en 2011. « Avant d’utiliser les mouches stériles, plusieurs fermes avaient de gros problèmes. J’ai déjà vu 60 % de dommages dans un seul champ d’oignons », souligne Anne-Marie Fortier. « Il y avait des producteurs qui en étaient rendus à appliquer trois fois la dose de chlorpyrifos pour contrôler les dommages, et ça ne marchait pas. »
L’utilisation de ces pesticides s’est fait ressentir dans l’environnement : le chlorpyrifos a été détecté dans plusieurs échantillons prélevés dans les cours d’eau agricoles de la région. Grâce au projet des mouches roses, la santé du ruisseau s’est améliorée de manière spectaculaire. « Il y a des régions où les producteurs ne vivent pas sur leurs fermes, mais ici, les maisons sont collées sur les fermes. Les producteurs sont conscientisés car ils vivent dans cet environnement, leurs enfants aussi », souligne Mme Fortier.
En effet, commercialisé en 1965, le chlorpyrifos est l’un des pesticides les plus vendus au Canada. Son usage domestique est aujourd’hui proscrit. Des études sérieuses ont établi la relation entre l’exposition prénatale au chlorpyrifos et l’apparition de troubles de neuro-développement durant l’enfance. Depuis 2018, les producteurs agricoles du Québec doivent obtenir l’autorisation d’un agronome avant d’utiliser la substance. Santé Canada songe même à en restreindre l’usage.
Source : lapresse.ca