Le Collectif Sauvons les fruits et légumes dresse un état des lieux de la production arboricole française. Au programme : suppression des pesticides, stratégie Farm to Fork, sortie programmée des phytos annoncée par le Président de la République.
Alors que la France restreint toujours davantage l'application des produits phytosanitaires sur son sol avec l’approche la plus restrictive des autorisations de mise sur le marché, comment l'arboriculture française fait-elle face aux pertes de production et à la concurrence de ses voisins européens. Au regard de ces différents problématiques, se pose donc la question de l’autonomie alimentaire française puisqu'aujourd’hui 71 % des fruits consommés dans l’Hexagone sont importés.
Une restriction toujours plus grande des produits phytosanitaires
Les arboriculteurs français disposent de moins en moins de marge de manœuvre concernant l'utilisation des produits phytosanitaires. Selon la Direction générale de l'Alimentation 40 % de ces usages en arboriculture sont des usages dits « orphelins » c'est-à-dire ne disposant pas de solutions de protection contre certaines maladies.
La conjugaison des autorisations de mises sur le marché souvent trop compliquées et trop contraignantes conduisent des entreprises phytopharmaceutiques à ne plus produire certaines substances.
La disparition de certains produits entraînent des difficultés pour les arboriculteurs qui ne peuvent lutter contre certains ravageurs et subissent des pertes de production. C'est le cas notamment de la cicadelle ou encore de la Cloque du pêcher pour laquelle aucune solution n'existe aujourd'hui. Problème similaire avec l’interdiction du diméthoate en cerise dont le fléau majeur est la drosophila suzukii (moucheron asiatique) apparue en 2011/2012 et qui n’a à ce jour toujours pas de solution. Si aujourd’hui les producteurs de cerises doivent composer avec le Limidan, le produit pourrait être amené à disparaitre à échéance 2022/23. Mais l'utilisation répétée d'un même produit pourrait engendrer des phénomènes de résistance.
Plusieurs réponses à ces problèmes sont actuellement à l'étude. « La filière cerise souhaite proposer aux producteurs un ensemble de solutions permettant de répondre à cette problématique. Mais le risque serait la perte de surfaces d’abord en raison des coûts engendrés et parce que certaines exploitations, notamment celles exposées aux vents ne pourront pas adopter ce type de protection », indique Jean-Christophe Neyron. D’autres solutions sont également à l’étude comme le recours aux insectes. « Un travail de recherche et d’expérimentation est mené actuellement sur cette problématique. Les insectes stériles ou insectes prédateurs pourraient éventuellement apporter une piste mais de nombreuses interrogations demeurent, particulièrement sur le financement de tels projets, l’efficacité du lâché d’insectes stériles demandant de grandes quantités d’individus. La difficulté réside également dans le taux de protection du verger puisqu’on parle ici d’une efficacité à 40 % tout au plus. »
Pour Josselin Saint-Raymond, Directeur de l’Association Nationale Pommes Poires « Si on doit imaginer le verger de demain, il faudra des variétés résistantes à la tavelure et des protections par bâche. Et l’implantation d’un verger qui coûtait au départ 40 à 50 000 euros coûtera désormais 100 voire 120 000 euros, soit une augmentation du coût de production de 50 % liée à la main-d’œuvre nécessaire pour ouvrir ou fermer les bâches selon les conditions météo. Or si les coûts de main-d’œuvre explosent, les prix de la pomme augmenteront de 50 à 60 % en rayon pour pouvoir maintenir une production sur le territoire ».
Pesticides et débat public : les acteurs économiques s’adaptent à la demande des consommateurs
Pour le politologue Eddy Fougier, le contexte est influencé depuis les années 2000 par les anti-pesticides. La question des pesticides s’est imposée dans le débat public notamment avec l’apparition des émissions diffusées à la télé. « La vision des anti-pesticides a eu une influence (artificiel vs naturel…) et ce qui est mis en avant c’est le bio qui serait propre par rapport au conventionnel. Ces acteurs ont exploité un certain nombre de réflexes de la part du public face aux risques. Beaucoup d’études ont été réalisées depuis les années 70 et pour le public, les risques les plus anxiogènes sont les risques invisibles et non maitrisables. Il y a aussi la question de la perception par le grand public de la notion de seuil et de probabilité de risque. Dans les conditions d’acceptabilité des pesticides et autres produits de ce type, effectivement il faut prendre en compte ce qui est perçu comme utile et la société et malheureusement la question des coûts de production par exemple le consommateur n’en tient pas compte à part si hausse du prix des produits. »
« Avec les émission d'enquête sur les chaines publiques, les recherches sur les pesticides sur internet ont explosé. Ça créé un contexte dans lequel les politiques et acteurs économique, comme la grande distribution par exemple, vont essayer de s’adapter pour ne pas rater le train ou pour ne pas être accusés d’être du mauvais côté. »
Situation concurrentielle au regard de la stratégie européenne Farm to Fork
Alors que le président Emmanuel Macron a annoncé qu’il ferait, dans le cadre de la présidence française de l’UE, de la sortie accélérée des pesticides une priorité, qu’en est-il de la situation de distorsion entre les outils dont disposent les producteurs français et ceux de nos voisins européens ?
« Nous sommes dans un espace économique ouvert donc en concurrence directe avec des producteurs étrangers qui possèdent plus d’outils que nous avec des produits moins chers que les nôtres.
Sur le total des fruits consommés en incluant les exotiques et les agrumes, la part de l’origine France n’est que de 29 % pour les fruits. »
Il y a près de 20 ans, la consommation française de pêches et nectarines avoisinait les 400 000 tonnes (400 mille tonnes produites et 400 mille tonnes consommées). Aujourd'hui, la production française ne dépasse pas les 200 000 tonnes. Si la production a été divisée de moitié c'est principalement parce l’Espagne a multiplié par 5 sa production. « L’Espagne est notre principal concurrent pour les fruits à noyau. L’Italie est aussi un gros producteur mais moins concurrentiel car le pays démarche principalement l’Est de l’Europe. »
Si la France est très rapide dans l'application des mesures européennes, ce n'est pas le cas pour d'autres pays européens comme l'Espagne par exemple, qui dispose de nombreux autres avantages et notamment une main-d'œuvre bon marché. Les arboriculteurs français doivent également s'affranchir de taxes sur les matières actives qui n’existent pas dans d’autres Etats membres.
Et alors que la France était premier exportateur mondial au début des années 2000 et exportait près de 700 000 tonnes chaque année sur les marchés internationaux, aujourd’hui le pays peine à exporter 400 000 tonnes. « La production agroécologique n’intéresse pas les marchés du monde. Les conditions de production n’intéressent pas les acheteurs, la question qu’ils se posent c’est pour 1 dollar combien de pommes je peux avoir. Sur une pomme française à 1,20 dollar, pour le même prix on achète 2 pommes italiennes ou 4 pommes polonaise. La question est donc sur la compétitivité des prix. Quand vous mettez une pomme dans un container pour alimenter le marché chinois ou thaïlandais, à l’ouverture du container, la pomme française est abîmée car en l’absence de protection fongicide, les champignons se développent pendant le transport. Donc les acheteurs ne sont plus prêts à payer cher pour avoir une pomme française car ils savent qu’ils vont avoir de la perte et des problèmes de qualité. Nous avons perdu entre 200 000 et 300 000 tonnes d’exportation pour la pomme française sur les 5 dernières années soit 200 millions d’euros de valorisation. Ce qui se traduit nécessairement par des faillites pour des producteurs », indique Josselin Saint-Raymond.
Intervenants : Josselin Saint-Raymond, Directeur de l’Association Nationale Pommes Poires ; Patrice Vulpian, Producteur de pêches, nectarines, abricots à Saint Martin de Crau ; Jean-Christophe Neyron, Président de l'AOP Cerises de France et producteur à Malemort-du-Comtat, Vaucluse ; Eddy Fougier, Politologue, auteur de « Malaise à la Ferme ».
Pour plus d’informations :
Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France
sauvonslesfruitsetlegumes.fr