Jeudi dernier le Conseil constitutionnel, saisi par les députés de gauche, a censuré la partie la plus contestée de la loi Duplomb, adoptée le mois dernier par le Parlement. Celle-ci prévoyait la réintroduction sous conditions de l'acétamipride. Face à cette situation plusieurs organisations demandent un soutien du Gouvernement. Le sénateur Laurent Duplomb, lui, n'exclut pas le dépôt d'un nouveau texte.
Une censure de l'article 2 pour encadrement insuffisant
Si les sages considèrent que la procédure d'adoption n'a pas été irrégulière comme le soulevait les recours déposés, ils estiment en revanche que la dérogation contenue dans la loi Duplomb n'encadre pas suffisamment puisqu'elle s'applique à « toutes les filières agricoles » et n'est « pas accordée à titre transitoire pour une période déterminée ». Le Conseil constitutionnel juge ainsi que la loi « a privé de garanties légales le droit de vivre dans un 18 environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement ». En 2020 le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé sur la réintroduction d'un néonicotinoïde. S'il avait reconnu qu'il avait des incidences sur la biodiversité, il avait toutefois validé le texte qui posait une dérogation pour la betterave sucrière circonscrite dans le temps.
Annie Genevard a déclaré que le Gouvernement ne « laissera pas les filières dans l'impasse sans solution »
Le 7 août, Annie Genevard a déclaré sur X (Twitter) « la censure de l'article 2 conserve les conditions d'une concurrence inéquitable faisant courir un risque de disparition de certaines filières. Je reste engagée pour défendre toutes nos filières, notamment les plus menacées faute de solution phytosanitaire. L'Inrae réalise à ma demande un travail pour identifier les filières placées en situation d'impasse : elles trouveront le Gouvernement à leurs côtés pour ne pas les laisser sans solution ». La ministre de l'Agriculture appelle également à « acheter français pour soutenir notre agriculture et éviter des importations bien moins vertueuses ! »
Le sénateur Laurent Duplomb n'exclut pas un nouveau texte
Le sénateur LR de Haute-Loire à l'origine de la proposition de loi, n'exclut pas un nouveau texte pour réintroduire l'acétamipride qui tiendrait compte cette fois des conditions imposées par le Conseil constitutionnel. Sur RMC, Laurent Duplomb a déclaré que cette réintroduction sous conditions « n'était pas encore assez encadrée sur la durée, ni sur la liste des filières, dans le texte que j'ai présenté ».
La Confédération paysanne salue la décision du conseil constitutionnel
Le syndicat agricole salue la décision des Sages mais temporise. « Cette décision n'est qu'une victoire en demi-teinte. Bien qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle pour notre santé, pour la filière apicole et pour la biodiversité de manière générale, cela n'enlève en rien l'intention première de ce texte : accélérer la fuite en avant de l'agriculture vers un modèle toujours plus productiviste, permettre la compétitivité de la « Ferme France », en favorisant la restructuration des fermes par leur concentration ».
Pour la Coordination rurale « Le Conseil constitutionnel méprise l'agriculture française »
« L'agriculture n'est rien pour eux par rapport à l'environnement. Les 400 000 agriculteurs ne sont rien par rapport à 2 millions de pétitionnaires. Peu importe pour eux si les standards sanitaires, sociaux, et environnementaux des produits étrangers que nous consommerons demain sont largement inférieurs à ceux imposés à l'agriculture française. Comme si, finalement, la souveraineté et la sécurité alimentaires brandies en étendard par nos dirigeants n'étaient qu'illusions… Les agriculteurs sont de moins en moins nombreux mais ils résistent ! Face à la décision du Conseil constitutionnel, la Coordination Rurale invite plus que jamais les consommateurs à favoriser les produits français. Elle appelle également les parlementaires à se prononcer en faveur du Référendum d'initiative populaire qu'elle propose. Sont-ils du côté du Conseil constitutionnel ou de celui des agriculteurs ? Chacun, citoyen ou élu, devra assumer ses choix », indique le syndicat dans un communiqué.
La FNSEA demande un nouveau texte
« Cette décision marque l'abandon pur et simple de certaines filières de l'agriculture française », a déclaré Arnaud Rousseau, président du syndicat, qui demande à ce que les articles censurés et notamment celui relatif à l'acétamipride soient retravaillés « pour que les engagements politiques de l'hiver 2024 soient enfin tenus et que des filières entières, comme la betterave sucrière, la noisette ou les pommes et les poires, ne soient pas purement et simplement abandonnées et vouées à disparaître. Nous demanderons que les points censurés soient rapidement repris dans un prochain texte agricole », précise la FNSEA dans un communiqué. « La France ne peut pas rester le seul pays d'Europe à imposer à ses agriculteurs des contraintes que les autres ne subissent pas. Il en va de notre souveraineté nationale agricole et alimentaire. Où est la cohérence politique quand, d'un côté, on exige des agriculteurs français qu'ils respectent les normes de production les plus strictes au monde au nom d'une agriculture durable et performante, et que, de l'autre, on ouvre grand nos frontières à des importations massives qui n'en respectent aucune et échappent à tout contrôle avant d'arriver dans nos assiettes ? ».
La filière noisette demande 45 millions d'euros au Président de la République pour compenser les pertes
L'association nationale des producteurs de noisettes (ANPN) et la coopérative Unicoque s'insurgent, dans un communiqué commun, contre la censure de l'article 2 de la loi Duplomb estimant qu'elle porte « un coup fatal à la filière noisette ». Face à cette situation, les deux entités souhaitent le dépôt d'un nouveau texte pour autoriser l'usage de l'acétamipride contre la punaise et le balanin (durant 5 ans). Elles demandent également au Président de la République une indemnisation de 45 millions d'euros au titre des pertes constatées sur les 4 dernières années, ainsi que 20 millions d'euros par an, un montant qui pourrait être financé « par les signataires de la pétition citoyenne qui souhaitent le développement d'une production durable ».
L'ANPP et le Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France l'activation de la clause de sauvegarde prévue par l'article 36 du traité de Rome
Face à une décision qui « place durablement les producteurs français dans une situation de concurrence déloyale vis-à-vis de tous les autres pays producteurs en Europe » l'Association Nationale Pommes Poires et le Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France demandent, à l'instar des betteraviers français (CGB) d'activer la procédure de sauvegarde prévue à l'article 36 du Traité de Rome pour interdire l'importation de produits agricoles et alimentaires issus de pays de l'UE dans lesquels l'acétamipride est autorisé. L'ANPP qui a indiqué qu'elle organiserait des opérations de stickage informatifs dès le mois prochain, appellent également les consommateurs français à boycotter les fruits et légumes et les produits transformés en provenance des 26 autres pays de l'UE. Tout comme le Collectif qui interpellent notamment les signataires de la pétition* (lancée du le site de l'Assemblée Nationale le 10 juillet par une étudiante demandant l'abrogation immédiate de la loi et qui a recueilli plus de 2 millions de signatures) « Vous ne souhaitez pas d'acétamipride dans vos assiettes ? Soyez cohérents et assumez votre signature, refusez de consommer des produits d'importation ayant été traité avec l'acétamipride. L'hypocrisie a assez duré. »