Alors que le recrutement de citadins pour aller travailler dans les champs rencontre un certain succès, les agriculteurs s'inquiètent désormais pour les débouchés. Dans la Drôme, Alain Freyssin craint de devoir jeter sa récolte.
Cet agriculteur installé à Vaunaveys-la-Rochette a coupé le chauffage à l’annonce du confinement. « Normalement, à cette époque, tout devrait être rouge. On aère au maximum pour rester à température ambiante et les ralentir le plus possible. Je vais réussir à gagner une dizaine de jours mais je ne pourrai pas les retenir au-delà, et je ne sais pas ce que je vais en faire ».
L’exploitation s’étend sur 3 hectares de plein air et 1,5 hectare sous serres. Elle emploie deux travailleurs saisonniers marocains qui vivent dans un bungalow sur place. Ces ouvriers travaillent huit mois dans l’année et repartent au pays à la Toussaint, durant la saison morte. L’agriculteur dispose aussi d’une boutique où il vend ses produits. Cette dernière attire « les gens qui font un crochet sur le trajet du boulot, ceux qui passent le dimanche soir en revenant de week-end et beaucoup de retraités en vacances avant le rush de l’été ». Si le magasin ouvre généralement à cette période, cette année, le rideau sera levé neuf jours plus tard.
La récolte commence habituellement début avril pour atteindre les 10 tonnes annuelles : « Ça représente environ 30 000 euros, soit 20 % de mon chiffre d’affaires, explique Alain Freyssin. On va en ramasser la moitié d’ici mi-avril, mais comme c’est parti, ce sera bon à jeter dans le Rhône. D’habitude, on écoule 300 kg par week-end dès le démarrage ».
L’exploitant espère que la situation va s’améliorer : « Si on est déconfinés à partir de la fin avril, on pourra peut-être limiter la casse ; on fait de gros chiffres pendant les ponts », spécule Florence, son épouse. « Sinon, psychologiquement, pour mes salariés et nous, ce ne sera pas simple de voir les fraises plantées il y a des mois pourrir dans les paniers », ajoute l’agriculteur.
L’exploitation propose aussi des tomates, des cerises, ainsi que des abricots et des pêches. « Mais ça ne compensera pas, estime sa femme, et on ne sait pas si les gens reviendront faire le crochet par la ferme ou s'ils continueront d'aller au supermarché ».
Alain Freyssin est particulièrement mécontent de la situation actuelle de la grande distribution. « Les grandes surfaces se gavent, c’est lamentable ! », peste-t-il. « On entend à la radio qu’il faut soutenir les producteurs français, mais je suis allé voir au supermarché, en ce moment, vous avez des palettes entières de fraises d’Espagne à 1 euro la caissette. Sur les autoroutes, les 35-tonnes espagnols et italiens circulent, eux, comme ils veulent. Nous, on va crever la bouche ouverte ».
Le paysan sera à la retraite dans dix-huit mois et ne voyait pas finir sa carrière ainsi. L’entreprise va essayé de développer des livraisons de paniers garnis. « On va peut-être découvrir quelque chose qui va fonctionner pour la suite ».
Source : liberation.fr