Des chercheurs ont réussi à créer une endives ne contenant pratiquement aucune substance amère. Pour ce faire, ils ont utilisé la célèbre technologie CRISPR/Cas9 afin de désactiver uniquement les gènes contrôlant la production de substances amères dans les plantes. Une avancée qui ouvrirait des possibilités pour la culture de l'endive, qui serait plus appréciée des jeunes consommateurs.
Des racines d'endives moins amères se prêteraient mieux à la production de farines saines, riches en fibres et sans gluten pour l'industrie alimentaire. De même, ces recherches ouvrent des perspectives pour la culture d'autres légumes amers bien connus, comme les choux de Bruxelles et les endives.

Plants de Cichorium dans la serre d'essai de l'ILVO. À partir des racines de ces plantes, les producteurs de chicorée font sortir les têtes blanches bien connues - et normalement amères - de l'endive.
L'endive, le « joyau de la couronne » belge, perd de sa popularité auprès des jeunes
On cultive de moins en moins d'endives et de chicorées en Belgique. Mais ces cultures ont encore du potentiel, surtout si l'on parvient à les rendre moins amères. L'endive fraîche, l'un des « joyaux de la couronne » belge, figure toujours dans notre top 10 des légumes les plus consommés. Mais une offre plus variée, en degrés d'amertume, permettrait de mieux répondre à l'évolution de la demande. Les jeunes consommateurs, en particulier, veulent un légume qui a un goût un peu moins amer.
Demande de fibres diététiques pour des produits alimentaires plus sains
La chicorée est moins connue des consommateurs mais elle est transformée en inuline, une fibre soluble prébiotique saine, pour notre industrie alimentaire. Cette industrie est également intéressée par des matières premières moins amères. Les racines de chicorée non amères pourraient être transformées directement après séchage et broyage en une farine riche en fibres, sans avoir à extraire et purifier l'inuline au préalable.
Des « gènes amers » trouvés et éliminés grâce à la technologie CRISPR/Cas9
Pour les producteurs de chicorée et d'endives de Belgique, il est donc important que les sélectionneurs se concentrent sur des variétés moins amères. Charlotte De Bruyn, chercheuse à l'UGent/VIB et à l'ILVO, a d'abord étudié, dans le cadre de ses recherches doctorales, les gènes responsables du goût amer. Elle a été assistée par Alain Goossens, chercheur au VIB, expert dans le domaine des substances qui influencent le goût, et par Katrijn Van Laere, chercheuse à l'ILVO, experte en techniques de sélection classiques et avancées.
Les gènes qui influencent l'amertume sont en fait ceux impliqués dans la biosynthèse des lactones sesquiterpéniques guaianolides. Charlotte De Bruyn a réussi à « éteindre » ces gènes dans les cultures à l'aide de la technologie CRISPR/Cas9. En d'autres termes, les gènes sont toujours présents dans les plantes mais ne sont plus exprimés. Par conséquent, les plantes de Cichorium ne produisaient pratiquement pas de substances amères.
Une méthode remarquablement rapide et précise
Katrijn Van Laere, responsable de la recherche, souligne le grand potentiel de cette technologie : « CRISPR/Cas9 est une « nouvelle » méthode qui peut être utilisée en sélection et s'avère très efficace pour apporter uniquement les modifications souhaitées à l'ADN des plantes. Cela permet de faire une sélection très ciblée et décisive. En à peine un an, nous avons pu désactiver la production des gènes de la substance amère et créer des plantes susceptibles d'être évaluées sur d'autres aspects agricoles. Ce qui est possible par le biais de la sélection traditionnelle n'est pas clair, mais dans tous les cas, on se retrouve rapidement avec un certain nombre de cycles de croisement et de travail de sélection pour aboutir à des plantes dans lesquelles la production de substances amères est réduite de manière probable, mais jamais complètement éliminée. »
Une recherche biotechnologique réussie
Avec cette recherche, Charlotte De Bruyn a franchi une étape importante. « On a découvert un certain nombre de gènes spécifiques qui, lorsqu'ils sont désactivés dans la chicorée, ne créent pratiquement aucune substance amère. En outre, un protocole CRISPR/Cas9 a été optimisé pour désactiver le plus grand nombre possible de ces gènes en une seule fois, ce qui constitue encore aujourd'hui l'un des plus grands défis. Bien entendu, il est encore possible d'optimiser les recherches futures. »
Quand le résultat sera-t-il dans nos assiettes ?
Il faudra un certain temps avant que nous puissions acheter des endives moins amères. Tout d'abord, des recherches supplémentaires doivent être menées pour déterminer si les gènes identifiés ont d'autres fonctions et si les lignes de produits développées doivent être élargies. À cela s'ajoute la décision de la Cour de justice de l'Union européenne en 2018 selon laquelle les plantes modifiées par CRISPR/Cas9 relèvent de la même législation stricte que les organismes génétiquement modifiés (OGM). En pratique, cela rend presque impossible leur commercialisation en Europe.
Perspectives pour d'autres légumes « amers » également
Néanmoins, les recherches de Charlotte De Bruyn constituent une avancée importante pour la science. Elle offre également des perspectives pour la sélection d'autres cultures telles que les choux de Bruxelles et la roquette.
« L'identification et la caractérisation des gènes de biosynthèse constituent une avancée majeure dans la compréhension de la façon dont les plantes créent des substances amères. Grâce à ces connaissances fondamentales, nous pouvons maintenant passer au crible de grandes populations existantes de plantes pour trouver des mutants naturels ayant le même effet. En effet, contrairement aux plantes modifiées par CRISPR/Cas9, les mutants naturels ne relèvent pas de la législation sur les OGM », explique la promotrice Katrijn Van Laere.
ILVO veut continuer à travailler avec les entreprises sur la technique de sélection CRISPR/Cas9 afin de développer de nouveaux cultivars d'endives et de chicorées, entre autres. L'UGent/VIB est également un partenaire logique dans ce domaine, car le département de biologie des systèmes végétaux a beaucoup d'expérience et d'intérêt dans la découverte de gènes dans le métabolisme des terpènes végétaux, l'ingénierie métabolique et le développement et l'application de la technologie CRISPR/Cas9.
« Les recherches de Charlotte apportent un éclairage unique sur les mécanismes par lesquels les plantes produisent des substances amères. Cette connaissance fondamentale crée de nombreuses nouvelles opportunités pour adapter l'amertume de cultures telles que l'endive et la chicorée aux souhaits des utilisateurs », conclut le chercheur doctoral du VIB, Alain Goossens.
Source : ILVO